Selon le rapport Guinchard, le greffe universel serait une réponse à la refonte de la carte judiciaire et au développement des nouvelles technologies. Il permettrait au justiciable d’éviter un déplacement qui militerait pour cette création. Il serait complété de points visio-public qui seraient des bornes interactives pour le public éloigné. On peut également dire qu’elle s’inscrit dans l’esprit de la directive services UE dite Bolkestein (2006/123 CE du Parlement européen et du Conseil du 12/12/2006) qui ne concerne pas l’administration mais l’oblige indirectement à se réformer pour faciliter le droit à l’information que cette directive prône par l’instauration de guichets uniques pour les prestataires de services visés et destinataires. Sans rentrer ici dans l’étude de la directive, il faut avoir présent à l’esprit que les Etats membres devront l’avoir transposé dans leur droit national d’ici le 28 décembre 2009. C’est la proposition 24 du rapport Guinchard (cf. p 14) qui indique qu’il s’agit de créer ce guichet universel de greffe qui vise et suppose une mutualisation entre les greffes d’un ressort. Quels en sont les dangers. Ce sera l’objet de mon propos. « Les missions dites habituelles des guichets uniques de greffe sont: – une information de qualité, – une orientation du justiciable avec les juridictions, conciliateurs de justice et médiateurs avec des permanences assurées par ceux-ci – une orientation vers d’autres lieux si nécessaire avocats, associations etc.… » En fait d’habituelle, l’expérience de guichet unique n’aurait touché d’abord 5 juridictions pilotes avant d’être étendue à une soixantaine et elle devrait se poursuivre jusque fin 2009. Néanmoins, il semble qu’au plan informatique, la synchronisation ne sera possible qu’en 2011. Mais la grande nouveauté est que cette mutation vers le guichet dit universel pourrait aussi voir confier aux « agents d’accueil » de nouvelles missions qui seraient de : « – recevoir les demandes faites aux juridictions en constituant un point d’entrée de proximité pour les procédures sans représentation obligatoire ; – délivrer au justiciable une information précise sur le déroulement de sa procédure ; – recevoir et enregistrer un appel même si le greffe est situé hors locaux de la Cour d’Appel. » Dès lors et à en lire ce rapport Guinchard dont ce constat et propositions sont extraits, le greffe universel serait d’abord un point d’information mais aussi d’orientation des justiciables (1) et un service de saisine et de suivi des procédures (2) 1- Sur l’information et orientation des justiciables, il est précisé plus avant dans le rapport (p 202 et S), que ces guichets universels qui pourraient être installés sur tous les sites judiciaires du ressort d’une Cour d’appel mais aussi maisons de justice et du droit . Le Guichet doit être un lieu « où tout justiciable peut être accueilli pour recevoir une information précise, avoir la possibilité de recourir à des modes diversifiés de règlement des différends, être éventuellement orienté vers les professionnels spécialisés ou les instances de conciliation et de médiation ». 1°) La première mission serait de « d’assurer la fonction d’accès au droit passant par la délivrance d’une information juridique de qualité ». Par là, il faut entendre des renseignements pratiques (listes professionnels) mais aussi « d’informer le justiciable sur la formulation juridique et procédurale de la difficulté qu’il exprime. L’agent affecté au guichet doit être formé à cette fin. En effet, la plupart des demandes de droit ne se formulent pas en termes juridiques mais par l’expression d’un problème. Ce travail d’information est naturellement exclusif du conseil, lequel ne relève pas de la compétence des fonctionnaires de la juridiction ». 2°) La deuxième mission, c’est l’orientation du justiciable qui va consister à ce que: – « une réponse judiciaire ne soit pas systématiquement proposée à toutes les situations exposées » ; – une orientation soit faite vers les permanences de conciliateurs de justice ou de médiateurs « afin de traiter de manière apaisée le litige posé. Des liens avec les associations d’aide aux victimes, maisons du droit doivent être également institués avec les guichets universels » qui seraient aussi mis en réseau avec d’autres services publics tel s que les maisons de la justice et du droit et maisons des services publics. Par un système de visio greffe, l’idée permet de s’adresser à un fonctionnaire du service compétent sans imposer à tous les agents une formation lourde à toutes les procédures judiciaires et en favorisant le traitement non juridictionnel du fait des articulations avec les services de conciliation, de médiation ou des barreaux formés à la procédure participative. – lorsque « la demande excède le rôle d’accueil des agents », le justiciable devra être orienté vers d’autres lieux (consultation juridique par l’ordre des avocats…associations tournées vers les publics en grande difficulté ». 2 – Sur l’accès procédural, le greffe universel permettrait la saisine d’une juridiction également d’appel par les justiciables et auxiliaires de justice par le dépôt d’un acte qui entrainerait : enregistrement, délivrance information sur le suivi, la convocation pour les procédures devant le juge ou le médiateur. Le rapport dit que cette fonction d’accueil doit dépasser très largement la simple orientation vers le service compétent de la juridiction ou l’aide apportée dans la réalisation d’un acte procédural. Il n’a pas été retenu l’idée émise lors des auditions d’un service judiciaire d’orientation des affaires par le biais d’un formulaire unique. —————– Favoriser le recours à des processus visant à l’apaisement des litiges est une très bonne chose mais il ne doit pas être exclusif d’une procédure judiciaire et viser à priver le justiciable d’un accès à la justice étatique s’il en a besoin et de conseils juridiques parallèles adaptés. Or, ce système qui apparait de prime abord séduisant pour le justiciable est extrêmement dangereux car il vise tout simplement et clairement à l’écarter d’un accès au droit et à la justice étatique sans lui apporter la moindre garantie et sécurité juridique sur les choix entrepris. Son consentement va être vicié car il ne sera pas libre au sens juridique du terme avec une information « orientée » dont il ne maîtrisera ni les tenants ni les aboutissants mais surtout la justesse. Avant de parler choix et orientation qui est ici imposée, il faut que le ou les justiciables demandeurs soient entendus et que la ou les solutions juridiques répondues aux positions et besoins exprimés soient connues d’eux. Pour choisir, il faut savoir aussi à quoi on renonce avec toutes les conséquences que le choix implique. La situation de droit dans le cadre d’un litige doit être dite sous ses aspects juridiques et judiciaires. Les agents d’accueil d’une juridiction ne sont pas à même de donner des consultations juridiques de nature juridique et/ou procédurale, ce qui leur est d’ailleurs interdit à ce jour car c’est un métier, c’est celui des seuls avocats. Pour orienter vers un circuit plutôt qu’un autre, cela se fait rarement en 10 mn, il faut avoir le temps d’écouter et de bien écouter, de s’assurer que le tour de la question ait été fait. Pour être à même de donner une solution juridique adaptée, il faut aussi avoir une maîtrise de l’ensemble des règles procédurales pour en connaître les avantages et les risques liés au cas posé pour ne pas en faire courir de plus grands aux justiciables. On peut douter d’ailleurs que les agents d’accueil des greffes cherchent à revendiquer une telle responsabilité. Proposer de diriger vers plusieurs agents pour éviter que l’agent d’accueil ait à recevoir une formation procédurale lourde (sic) pour pouvoir répondre vise clairement à tenter d’écarter les justiciables des professionnels du droit. Ne renvoyer vers ceux-ci que si cela excède la capacité d’accueil de l’agent ou selon son bon vouloir d’orienter vers les conciliateurs ou médiateurs ou autres agents d’accueil du droit revient clairement à décider pour les justiciables de ce qui est bon ou mauvais pour eux. Ce n’est pas non plus le rôle d’un conciliateur de se substituer à eux, il a pour mission de rapprocher les parties pour les concilier. Ce n’est pas plus celui d’un médiateur d’imposer une médiation car le processus doit être volontaire sinon il est voué à l’échec. Il peut tout au plus informer sur ce qu’est la médiation et ne peut s’imposer ou l’imposer. Il peut dire le droit, s’il est compétent pour ce faire ou renvoyer vers des professionnels du droit dans le cas contraire mais ne peut en aucun cas donner une consultation juridique sauf à y perdre sa neutralité et son indépendance voire son impartialité qui sont pour un médiateur professionnel des qualités essentielles. Si dans le monde 75% à 85% des médiateurs sont des juristes, ce n’est pas le cas en France où ce pourcentage est constitué de travailleurs sociaux. La profession n’est pas réglementée. Le seul diplôme d’Etat qui existe en France est celui de médiateur familial mais il n’est en aucun cas un gage de sérieux et de déontologie. Il y a des inégalités flagrantes dans les formations reçues et dans les recrutements des médiateurs. Et le risque est bien souvent qu’ils ne veuillent pas renvoyer vers des professionnels du droit quand ils le doivent. Si le rapport Magendie dont nous reparlerons vise à encadrer ces médiateurs pour ces mêmes motifs, le résultat n’est pas acquis d’avance car il faudrait tout remettre à plat sans leur imposer d’adhérer à une association. Enfin, le renvoi uniquement à des avocats pratiquant le processus participatif peut être une possibilité mais là encore, il faut que la profession s’organise. L’initiation au processus participatif est une chose, la formation aux techniques qu’elle requiert empruntées à la technique de négociation raisonnée et disons le, de médiation est loin d’être acquise pour tous même s’il est un moyen d’éviter des solutions judiciaires autant ce faire se peut. En conclusion, si le justiciable doit rester au centre du système, il faut lui laisser le choix de consentir librement pour décider et choisir sa solution qui pourra être alternative et/ou cumulative au judiciaire, ce guichet universel ne répond pas à la préoccupation du justiciable mais à celle du contribuable et encore partiellement car il sollicite par ailleurs beaucoup de fonctionnaires pour éviter surtout le recours au juge. Dès lors, si l’idée d’un guichet unique est éminemment souhaitable pour faciliter l’accès à l’administration de la justice et du judiciaire, elle doit se limiter à offrir un service public d’information pas d’orientation qui est du seul domaine des professionnels du droit. Ceux-ci, rappelons le, ont un devoir de conseil et une obligation d’information sur tous les moyens existants en ce compris les modes alternatifs de résolution des conflits, alternatifs par opposition à la justice étatique. Leur responsabilité peut être engagée s’ils ne le font pas et ils sont assurés pour leurs prestations, ce qui est loin d’être le cas de tous ceux qui gravitent dans les métiers para-juridiques. Certains avocats sont même engagés et formés à ces techniques et en sont des acteurs, d’autres en sont clairement des partenaires et tous ont la charge et noble mission de servir et de viser la satisfaction de leur(s) client(s). Cette mission de l’avocat est la seule la plus complète des professionnels du droit car elle en couvre tous les aspects amiables et contentieux qui ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il faut arrêter de laisser penser que la solution des modes alternatifs de résolution des conflits est la panacée absolue. Ca se saurait et le risque est grand de les dévaloriser en y renvoyant tout et n’importe quoi. Faute de limiter le guichet universel de greffe à sa mission de service public, ce guichet ne contribuera qu’à créer une justice à deux vitesses, ceux qui auront les moyens de recourir directement à des professionnels du droit pour s’orienter de façon circonstanciée et ceux qui n’auront plus un accès facilité à ceux-ci parce que l’Etat se désengage clairement d’une justice étatique et du service public de la justice. Mal orientés, les justiciables se retrouveront au mieux désemparés et au pire subiront des dénis de justice qu’ils ne comprendront pas sauf à faire l’amer constat de leur préjudice.