Dans le cadre du développement du recours aux modes de règlements alternatifs des litiges, il est inscrit dans le projet de loi de finances 2016 (n° 3096) et plus précisément dans son article 15 relative à l’aide juridique, la possibilité de rétribuer l’avocat et le médiateur assistant une partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ci-après AJ dans le cadre d’une médiation judiciaire ou d’une médiation conventionnelle donnant lieu à un accord homologué.
Jusqu’ici l’avocat était rétribué dans les 40 euros alors que l’heure minimale moyenne basse hors taxes d’un avocat est de 150 euros Hors taxes auxquels il faut ajouter la TVA passée à 20%. Autant dire que c’est mission impossible puisqu’une médiation digne de ce nom dure en moyenne de 3 à 7h. Cela veut dire que même si l’avocat entend limiter son intervention aux moments clefs de la médiation soit au début et à la fin pour rédiger l’accord afin de le rendre exécutoire, c’est mission impossible. Les personnes les plus démunies qui ont et auront besoin de lui ne peuvent concrètement pas faire appel à un professionnel qui doit payer de sa poche pour se déplacer et assister dans un cadre conventionnel ou judiciaire à une médiation avant de parler rémunération et dispenser une prestation pour conseiller utilement son client et rédiger pour lui.
L’augmentation 2016 pour cette prestation pourrait être portée à 50 euros dans le meilleur des cas car même si on ne connaît pas le décret d’application, il semblerait que l’alternative c’est de dire les unités de valeur restent inchangées ou seront divisées par deux et on les augmente de + ou – 4 euros . Dans le deuxième cas, on passe à 25 euros avant impôt. Et si cela n’aboutit pas à un accord homologué, point de rémunération !
Autant dire que c’est un leurre que de prétendre que les avocats seront rémunérés. Et s’ils le sont, cela ne paiera pas même les frais de route et de parcmètres qu’ils devront engager avant de payer des impôts sur une rémunération qui n’en est pas une.
Il est certain que les avocats qui acceptaient de travailler majoritairement à l’AJ ne le pourront plus et qu’il faudra qu’ils y renoncent sauf à se mettre en péril puisqu’ils paieront de leur poche.
Pour les médiateurs, le mystère reste entier. Simplement, il y a lieu de s’interroger quand on sait qu’actuellement, les juges désignent majoritairement des associations subventionnées qui appliquent le tarif imposé par la CAF qui peut atteindre 5 euros de l’heure dans le cas des plus démunis puisque c’est au prorata des revenus. Sans subvention, point de salut pour les autres médiateurs, les vrais indépendants qui ne peuvent travailler à ce tarif sauf à en faire un sacerdoce car ce ne sera plus un métier en effet. Les indépendants paient des charges avant de pouvoir travailler, leur demander de payer pour travailler ensuite est une absurdité.
Mais alors, faut il considérer que pour les médiateurs subventionnés, il y aura un cumul des rémunérations ? Ce qui ajouterait à la concurrence déloyale qui existe à ce jour entre les médiateurs subventionnés qui sont en grande majorité salariés même si cette rémunération sera probablement dérisoire.
C’est un leurre de plus car rien n’est gratuit et d’ailleurs, la médiation subventionnée coûte plus chère à l’heure effective que la libérale déjà objectivement à l’ensemble des contribuables quand on voit la déclaration d’heures déclarées effectives qui n’est pas contrôlée sérieusement et se trouve surévaluée. La Cour des comptes l’a déjà dénoncé.
Est-ce encore le moyen de dire à tous les justiciables, vous devez aller en médiation avant de saisir un juge, nous en finançons une partie et c’est gratuit pour les plus démunis ? Et qui seront ces plus démunis ? Ce seront désormais les personnes qui auront un revenu de + ou – 1000 euros au lieu de 1 500 euros à ce jour pour bénéficier d’une aide partielle. Autant dire que le nombre de missions va exploser car la France va mal économiquement.
Alors quid des subventions qui instaurent déjà une concurrence déloyale entre médiateurs salariés et les autres ? Est-ce que le glas va sonner aussi pour les subventions ?
Mais le plus surprenant dans cette réforme de l’aide juridictionnelle/juridique désormais, ce sont les modalités de financement. L’Etat se désengage totalement (extrait du projet de loi):
« – en relevant la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique et la taxe forfaitaire sur les actes d’huissier, déjà mobilisées en LFI pour 2015 afin de contribuer au financement de l’aide juridictionnelle ;
– en affectant au Conseil national des barreaux une partie des amendes pénales à hauteur de 28 M€ en 2016 et en réaffectant la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice au budget général de l’État ;
– en instaurant une participation financière des avocats au système de rétribution complémentaire appliqué localement par voie de conventions entre les juridictions et les barreaux par affectation au CNB pour le financement de l’aide juridique d’une partie des produits financiers des fonds des justiciables déposés dans les CARPA en complément des efforts budgétaires et fiscaux de l’État.
L’article contient enfin des dispositions destinées à simplifier et à mieux contrôler l’usage des fonds affectés au financement de l’aide juridique, qu’ils proviennent des crédits budgétaires ou des ressources affectées au CNB. »
Autant dire que même si le CNB (Conseil National des Barreaux) annonce que les avocats défendront toujours les plus démunis et qu’il se battra pour cela, c’est très louable mais ce sera mission impossible au XXIè siècle. A avoir supprimé la taxe de 35 euros par procédure qui n’a tué personne et permettait au moins de canaliser ceux qui font de la procédure parce que cela ne leur coûte décidément rien, il n’y a plus de financement propre. Il aurait suffi d’instaurer la condamnation aux dépens à celui qui succombe de sorte que cette taxe aurait été remboursée à celui qui l’avançait pour réclamer justice.
Pour les avocats, il est aberrant de devoir payer pour travailler et de faire porter à une profession le poids d’une charge publique au motif que l’Etat ne veut plus financer l’aide juridictionnelle qui est déjà une aumône plus qu’une rémunération à la profession d’avocat puisque les tarifs devaient augmenter depuis 2007 et qu’il n’en a rien été.
Quid du principe fondamental de droit public qui est celui de l’égalité devant les charges publiques ? Pourquoi les avocats devraient ils payer pour travailler mais encore payer des auxiliaires de justice indépendants comme les experts judiciaires ou encore des médiateurs indépendants ou salariés ?
Les bâtonniers ne désigneront plus à l’AJ prochainement dans une logique évidente car on ne peut demander à quiconque de travailler en decà de son coût de revient.
En 2016, les avocats devront renoncer aux missions d’aide juridique pour ne pas fermer leur cabinet. A quoi bon faire grève, il faut tout simplement placarder que nous devons renoncer à accepter des dossiers d’aide juridictionnelle à compter du 2 janvier 2016.
Le service public de l’AJ n’aura qu’à se mettre en place pour satisfaire les plus démunis et salarier des avocats dignement dans tous les ressorts des Barreaux mais ni les avocats, ni les plus démunis ne sont intéressants au plan électoral.
Ne rêvons donc pas, les justiciables dont l’accès au juge n’est déjà plus un principe en pratique, ne pourront pas même recourir à des professionnels sécurisant juridiquement leurs accords ou leur défense.
C’est cela la justice du XXIè siècle: elle marche à reculons des droits de la défense !
Epilogue: ce projet de loi vient de passer en force…c’est cela la démocratie: éviter que le conseil constitutionnel retoque une loi scélérate qui impose une charge à une profession pour travailler.